jeudi 14 juillet 2011

J'abandonne de Philippe Claudel

Ce récit très sombre met en scène un homme dépressif qui ne supporte plus le métier de « hyène »  qu’il exerce : il travaille à l’hôpital et a pour rôle d’annoncer le décès d’un proche en vue d’obtenir le prélèvement d’organes. Cet homme jeune, dont la femme très aimée vient de mourir, est aussi le père d’une petite fille de 21 mois. Le roman oppose ainsi la vulgarité et la laideur, dans les scènes avec son collègue de travail, la baby-sitter ou celles dans la ville ou les magasins, à l’innocence et la joie pure des moments passés avec sa toute petite fille.

On peut sûrement reprocher le côté « exercice de style » et voir ce livre comme un catalogue de la vulgarité, qu’elle soit individuelle ou collective, allant des supporters de foot à BHL, de la chirurgie esthétique à la haine envers les étrangers ou l’abandon des SDF. J’y ai surtout trouvé des mots justes, une grande maîtrise du style et de la construction, pour décrire les horreurs quotidiennes que nous intégrons sans émotion alors qu’elles devraient nous indigner, nous faire hurler.

Deux extraits :

« Nous ne savons plus où ranger les guerres. Nous manquons de tiroirs. Notre mémoire est une fosse où s’entassent bien trop de cadavres. Elle déborde de corps sans vie. Nous les consommons par génocides entiers à mesure que les journaux nous les apportent, et puis nous les mélangeons, nous touillons le tout, nous les confondons, ce qui est bien pus efficace que la chaux vive.
Mon collègue ... est à l’image de tous les hommes d’aujourd’hui qui se souviennent de leurs dernières vacances, mais pas des crimes contre l’espèce humaine. »

« Le journaliste demandait à cette femme en passe d’être élue à la tête du RPR, ce qu’elle haïssait le plus. Elle a répondu spontanément : « Lionel Jospin ! » Elle n’a pas dit : « Je hais la misère, l’injustice, la souffrance, la pauvreté, la maladie, l’indifférence, la guerre, l’inhumain, la détresse, le chômage, le crime… » Non, elle a dit que ce qu’elle haïssait le plus, c’était un être humain, c’est-à-dire toi mon enfant, c’est-à-dire moi. Ce que cette femme pensait le plus immonde dans le monde qu’elle aspirait à gouverner, c’était un homme. »


1 commentaire:

  1. Je sors à peine de la lecture des "Âmes grises" et je suis tenté de poursuivre ma découverte de Philppe Claudel, un écrivain qu'on ne peut accuser de "nombrilisme"...
    J'ai beaucoup apprécié les deux extraits de "j'abandonne" que tu as choisis.
    J'ai noté de lire aussi "Le rapport de Brodeck" signalé dans ton commentaire.
    Je te souhaite une excellente soirée.
    JC
    (ps : je ne suis pas arrivé pas à me connecter avec le compte google, malgré plusieurs tentatives ; j'ai donc choisi la procedure Anonyme)

    RépondreSupprimer