mercredi 29 septembre 2010

Retour à Reims de Didier Eribon

Ce livre magnifique fait un va et vient permanent entre l’histoire personnelle de l’auteur, fils de prolétaire devenu un universitaire reconnu, et une fine analyse sociologique et politique. Didier Eribon fait souvent référence à Annie Ernaux, il y a effectivement une certaine ressemblance dans leurs parcours, dont l’écriture est cependant plus intimiste. Ici, les chapitres autobiographiques sont pleins de sincérité, de retenue et de finesse. Rien de pesant non plus dans les chapitres d’analyse qui éclairent ce chemin hors du commun , souvent difficile, puisque l’auteur fuit dès qu’il le peut sa famille, son milieu social et sa région. Didier Eribon, "élève" et ami semble-t-il de Pierre Bourdieu, aborde les divers sujets, l’éducation de l’école à l’université, la culture, la politique sous l’angle de la reproduction sociale et de la domination des classes dirigeantes. Il nous fournit ainsi quelques clés pour comprendre le monde néolibéral si dur, si inhumain dans lequel nous vivons aujourd’hui. Un livre subversif, à lire absolument.

jeudi 16 septembre 2010

Le marchand de passés de Jose Eduardo Agualusa (trad. du portugais, Angola)

Ce livre que j'ai lu et relu avec grand plaisir, représente pour moi le prototype d'un roman, mêlant habilement fiction et réalité. D'abord parce qu'il est plein d'images d'ailleurs à découvrir et habiter, de rêves à ré-inventer, d'odeurs et de saveurs à déguster. Un style à la fois limpide et poétique (même s'il est délicat de se faire une idée à travers une traduction).
Ensuite parce que Félix Ventura, l'étrange personnage principal, un "homme qui trafique les souvenirs, qui vend le passé secrètement", et propose sur sa carte de visite : “Assurez à vos enfants un meilleur passé” a un ami narrateur, plus inattendu encore, qui nous offre un regard, un ressenti, nécessairement différent. A ses clients, Félix ... "vend un passé neuf sur papier, trace leur arbre généalogique, leur donne des photographies de leurs grands-parents et arrière-grands-parents, des messieurs de belle prestance, des dames des temps anciens, il leur vend ce rêve innocent." Il dit lui-même de son activité : "Je pense que ce que je fais est une forme avancée de littérature." "Moi aussi je crée des intrigues, j’invente des personnages, mais au lieu de les garder prisonniers dans un livre je leur donne vie, je les jette dans la réalité." Roman dans le roman donc.
Bien sûr, d'autres personnages d'importance, tous un peu hors du commun, gravitent autour de Félix. Et puisqu'il s'agit  d'un bon roman, la réalité fait aussi irruption dans la fiction et contrecarre les "rêves innocents".