
Quand j'ai lu, il y a quelques années, le court roman, la femme de Gilles, j'ai un peu regretté de n'avoir connu son auteur, Madeleine Bourdouxhe, qu'après sa mort (survenue en 1996). Ce roman-là, écrit en 1937, bien au-delà du thème de l'amour inconditionnel, m'a totalement séduite par la grâce de son écriture. Si je l'avais découvert avant, j'aurais pu déjà l'avoir relu tant et tant ! (comme Le grand Meaulnes ou Le parfum).
Ici, j'ai choisi de parler plutôt de ces sept nouvelles, très diverses tant par le thème que par leur longueur, parues en 1985. Elles ont en commun un style inimitable, sorte de poésie réaliste qui me touche énormément. Plutôt qu'un long discours, quelques extraits permettront de se faire une idée.

- Extrait de "Champs de lavande". "Il promenait le souffle chaud sur la chevelure, ou bien il le faisait s'arrêter un moment au même point, et il voyait alors une mèche devenir de plus en plus légère, réonduler d'elle-même, voler doucement. Et l'odeur montait peu à peu. Non plus d'alcool mais de lavande. L'odeur montait, le ligotait, s'insinuait en lui tout entier. Il est là, avec son séchoir d'acier à la main. Et parce que le bruit est un peu comme cela mais tout à fait différent, il se revoit, lui René, lorsqu'il est devant sa machine, à l'arsenal, qu'il surface la pièce d'acier et que l'odeur d'huile lubrifiée monte autour de lui. Mais, dans l'odeur d'huile, tous les détails restent clairs en ses pensées : il sait qu'il doit baisser le levier à rouge poignée, que l'action doit durer trois minutes, il sait que dans une demi-heure le travail s'arrêtera, qu'il ira casser la croûte avec les autres. A présent, dans l'odeur de lavande, il est comme dans un nuage. Dans ce nuage, il n'y a rien d'autre que l'odeur et que cette coulée de cheveux vaporeux qu'il soulève de sa main gauche. Ils flottaient maintenant, ces cheveux d'une finesse extrême, ils voletaient sous le souffle chaud, annelés et dorés. Il les palpait, il les soulevait, il les remuait doucement. Il les étala en éventail sur les épaules, les souleva en toison vers la lumière, et la coulée devint claire et vivante, d'entre ses ondes, l'odeur monta triomphante. Alors il vit, comme si elles naissaient là sur les coulées, les fines tiges des lavandes, leurs hampes bleues. Quelques-unes, et puis des infinités, en houles bleues. Devant lui, ou bien ailleurs, il ne savait pas. Ici ou dans des lointains ignorés, il voyait des lavandes en vastes champs sans frontière."
- Extrait de "Un clou, une rose". Il a pris son verre dans ses mains ; par petits gestes il a fait tourner la bière dans le fond de son verre, il ne disait rien et moi je parlais et devenais lentement folle. Il y a quelque chose, ai-je dit, il y a quelque chose que tu ne me dis pas, par exemple quelque chose que tu croirais et qui ne serait pas vrai. Dis-moi, explique-moi, parle, ai-je dit, parle. Il ne disait rien. Nous n'avions pas l'habitude de nous expliquer les choses. Il était entendu que nous le comprenions ainsi, sans guère de paroles. Alors je me suis dit que je n'avais qu'à partir. Et à laisser ainsi cette chose que je ne comprendrais jamais. Si je lui ai dit au revoir, je ne le sais plus. Je crois que je ne l'ai pas fait, que je me suis levée ainsi, que j'ai traversé la salle, que j'ai ouvert la porte. Avec lui qui restait assis, qui ne me suivait pas. C'était le bistrot où nous nous retrouvions souvent. A l'enseigne d'un nom de fleur. Comme : au muguet, ou : à la giroflée. Ce n'est pas que j'aie oublié le nom, mais j'essaye toujours de ne pas le penser. J'ai marché dans la rue, il ne m'a pas rejointe, il n'a pas crié : Irène."
J'ai beaucoup aimé ces deux extraits. Je note, je note..mais aurais-je le temps ? une tonne de bouquins à la maison que je n'ai pas lus...sans compter tout ce que j'aimerais relire !
RépondreSupprimerJe n'ai pas encore pu avoir "Le marchand de passés".
Je vous souhaite un trés bon dimanche.
JC
Votre commentaire m'a fait plaisir...
RépondreSupprimerJe vous remercie infinement pour "le Marchand de passés" mais je pense pouvoir l'avoir prochainement.
Je n'ai pas vu "Les mystères de Lisbonne" : "complet" le jour où je me suis déplacé...Arte fort heureusement va diffuser la version TV au printemps prochain.
Tout comme vous je connais mieux le vie d'Hemingway que son oeuvre : il est trés présent à Cuba où j'ai le bonheur de revenir en janvier prochain pour la Nième fois.
A bientôt je pense.
Rectificatif à mon commentaire : Pardon je déraille, décidément....en ce qui concerne Hemingway, j'ai confondu avec un autre blogueur...
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